L'orgue de barbarie de Bernard et Philippe

Les couches limites laminaires et turbulentes

couches-R.png

 

La  loi de poiseuille permet de calculer la vitesse d'un fluide dans une conduite ou entre deux plaques en fonction de la différence de pression entre les extrémités. Cependant si ce calcul fonctionne  correctement pour des sections importantes, dans un conduit étroit, comme celui de nos lumières de flûtes, il faut tenir compte de l'effet de proximité des parois et de l'existence des couches limites.

Dans nos diapasons cette loi nous permet de calculer la vitesse de l'air avant la sortie de la lumière dans une zone entre le noyau et la lèvre inférieure.

 

La bibliographie qui m'a apporté le plus d'éléments de compréhension sur le fonctionnement des flûtes est certainement l'ensemble des ouvrages d’Henri Bouasse. Cependant cet auteur commet une erreur apparemment secondaire due à un apriori classique quand il écrit dans "instruments à vent" tome 2 page 37:

 

"l'air glisse sans frottement le long des parois latérales"

 

Un apriori fondamentalement faux puisque justement la viscosité et les notions modernes de couches limites démontrent exactement le contraire, l'air est immobile au contact d'une paroi. C'est à cause de cet effet qu'il a beaucoup de mal à interpréter ses résultats expérimentaux dans le même ouvrage page 276.

Ce qui n'a été étudié et compris qu'avec les méthodes d'observation principalement développées pour l'aérodynamisme. La notion de couches limites est assez récente.

 

En fait pour un écoulement de fluide dans un conduit étroit, il existe une zone ou le flux est à vitesse maximum au centre jusqu'à une distance très courte mais mesurable de la paroi (l'épaisseur de la couche limite), puis de cette distance jusqu'au contact de la paroi la vitesse diminue pour être nulle au contact de la paroi.

par convention la séparation entre flux à vitesse normale et flux à vitesse réduite est l'endroit où la vitesse n'est plus que 99% de la vitesse normale.

 

couches limites.gif

et entre deux plaques ou dans un conduit circulaire capillaire de très petit diamètre, il faut une longueur minimum pour qu'un régime régulier soit établi (de l'ordre de dix à cent fois l'épaisseur de la couche limite, en fonction du nombre de Reynolds (un nombre sans dimension).

De plus la rugosité (ou l'état de surface) des parois dans cette zone joue un rôle important. Le profil des vitesses, une fois le régime stable établi, est de forme parabolique et pour conserver le débit, la vitesse maximum au centre augmente, mais la vitesse moyenne elle est inférieure à cette vitesse maximum.

Par contre si la vitesse dépasse une certaine limite le régime devient turbulent.

Il existe d'ailleurs deux régimes turbulents: le turbulent lisse ou le turbulent rugueux.

Ces notions sont la conséquence de notions complexes les équations de Navier-Stokes.

 

 écoulement pôiseuil.png

 

coucheLimiteTurbulente.png

  

 

 

et les explications théoriques:

 

Si l'on veut travailler dans le domaine laminaire, (c'est le cas de certaines thèses qui posent une condition en contradiction avec le fonctionnement de nos flutes) on peut  envisager de prolonger volontairement au plus long cette partie droite de la lumière, justement pour favoriser ces couches limites laminaires et conserver une vitesse plus uniforme sur l'épaisseur de la lumière et son influence sur la longueur utile.

Par exemple l'entrée doit  avoir des bords adoucis quand on veut éviter de provoquer un régime turbulent.

Mais ce n'est pas ce que l'on recherche!

 

A l'inverse si on veut favoriser les couches turbulentes (ce qui est favorable au fonctionnement de nos flutes), il faut réduire au plus court la longueur du couloir du passage laminaire à turbulent.

Mais il faut aussi distinguer le turbulent lisse du turbulent rugueux!

 

En fait les essais de  Bernard Baudouin nous font conclure:

"ce  tableau donne le calcul des vitesses de sortie de l'air, avec les différentes données issues de mes essais. On peut conclure que les flux avant la sortie par la lumière sont remarquablement constants aux alentours de 40 m/s, donc évidemment turbulents".

 

Donc puisque l'on est dans le domaine turbulent on fonctionne avec un profil de vitesse plat et des couches limites turbulentes mais très proches de la paroi, on est sensé avoir un couloir court.

pour les adeptes du fonctionnement laminaire  le couloir doit être long d'au moins 30 fois l'épaisseur de la lumière voire 100 fois selon l'état de surface. Soit un couloir de 9 à 30 mm, un objectif rarement respecté, et même jamais adopté empiriquement.

 

L'état de surface influence l'épaisseur de la couche limite. L'empirisme démontre  que l'on doit chercher à avoir un état de surface le plus lisse possible.

 

Les expériences récentes dans le domaine du biomimétisme ont conduit à la conclusion qu'un état de surface strié comme la peau de requin utilisant  l’effet Riblet permet un meilleur rendement, mais on ne sait pas encore comment l'obtenir.

 

Cette méthode peut rappeler ou être rapprochée de celle des entailles ou dents.

 

On voit donc que l'on peut jouer aussi sur la longueur de la partie droite de la lumière, et sur l'état de surface pour influencer les vitesses et la forme de leur répartition, sans modifier la pression, ni l'épaisseur de la lumière.

 

 

Cette notion de couche limite influence le fonctionnement de nos flûtes à 2 niveaux dans la lumière pour le vortex et dans le corps de flûte pour les ondes sonores et le contenu harmonique. C'est à mon avis personnel ce qui explique que certains facteurs d'orgue peuvent prétendre reconnaitre à l'oreille la nature du bois de leurs flûtes. Ils reconnaissent l'état de surface et non pas la nature du bois.

 

Dans la lumière les couches limites influencent la vitesse de sortie de l'air ce qui implique qu'il faudrait, dans nos diapasons, corriger la vitesse calculée avec la loi de Poiseuille d'une part et éventuellement les calculs théoriques de débit d'air que consomme les flûtes d'autre part.

 

L'épaisseur de cette couche limite est fonction de différents paramètres:

- la vitesse (fonction de la pression qui est fixe)

- la rugosité de la paroi (ou l'état de surface le seul critère sur lequel on peut agir, Il fait l'objet d'une norme ISO 1302). La rugosité se mesure de plusieurs manière , mais la plus rapide pour notre activité est le rugosimètre optique qui compare l’état de surface à un échantillon avec éventuellement une loupe binoculaire.

 

- le  nombre de Reynolds (un nombre sans dimension variable)

- la viscosité du fluide (fixe)

- la compressibilité (fixe)

 

à partir d'une certaine vitesse et en fonction du profil de la paroi et de sa rugosité (lisse ou rugueuse) la couche limite s'épaissit d'abord en passant  en régime turbulent (lisse ou rugueux? On est pas encore très sur...) on applique alors les équations de Navier-Stokes pour ces domaines de définition, puis en fonction de la longueur du couloir, la couche limite diminue d'épaisseur.

 

 

decollement de la couche limite.png

Nombre de Reynolds et régimes de vitesse

 

 

 

 

Pour ne pas rentrer dans le détail théorique et pour simplifier sans faire de calculs compliqués, il suffit de savoir que l'épaisseur d'une couche limite laminaire de l'air est de l'ordre de 0,14 mm, pour un flux s'écoulant à pression atmosphérique (y compris celle de la réserve), pour une température ambiante ordinaire et avec un régime laminaire.

 

 

Conclusion la hauteur du canal doit évoluer en fonction de la longueur en lien avec la vitesse.

C'est ce que préconisent les facteurs de flûte à bec!

 

lumière aérodynamique.png

Ce qui explique pourquoi chacun cherche un état de surface particulier dans la zone du  biseau (la pente du noyau pour moi et les facteurs d'orgues) et de la lèvre inférieure avant que se forme la lame d'air du vortex quand nous harmonisons une flûte avec la méthode par réglage en lumière.

 

Nota:

Dans nos diapasons cette correction sur la vitesse  calculée avec la loi de Bernoulli qui utilise une première approximation puis s'applique sur  le même paramètre avec une correction revient à utiliser une "référence circulaire" qui peut faire tourner l'ordinateur en rond. Il faut alors introduire une commande d'arrêt au bout d'un certain nombre de cycles qui permettent d'obtenir la précision à atteindre.

Les diapasons de ce blog ne prennent pas encore cette correction en compte.

 

Le calcul de la lumière aérodynamique en régime turbulent avec un couloir suffisamment long et à une distance à déterminer est plus proche de la lumière réelle que dans le calcul avec le régime laminaire et un profil de vitesse plat c'est à dire que la vitesse est égale sur presque toute la section sauf très près de la paroi. Le régime turbulent est très favorable pour la production d'un vortex dans une flûte.

 

Le problème qui nous préoccupe quelque soit le mode de fonctionnement pratiqué sera aussi et surtout de savoir comment le maintenir dans le temps...

 

Par contre l'exemple des flutes en métal illustre parfaitement le cas de fonctionnement d'un couloir de lumière très court sans noyau mais qui par contre est aussi favorisé par les indentations:

 

dents-flute.jpg

 

Deux vidéos plus "simples" sur certains points pour la compréhension mais plus complexes sur les maths à mettre en œuvre (ou réciproquement):

turbulences à hautes vitesses et nombre de Reynolds

 

introduction à la turbulence

 

 

quelques liens pour aller plus loin:

Maths et turbulence

 

écoulement de poiseuille turbulent

 

écoulement turbulent entre deux parois parallèles

 

 

 



13/04/2016
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